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Bruno Narchal, Crystal : « Les CGP sont les mieux placés pour tirer leur épingle du jeu »

Crystal, fondé en 1992, est devenu un acteur majeur de la profession. Nous avons rencontré Bruno Narchal, son président et associé fondateur, pour évoquer à la fois les perspectives de sa société comme celle du métier de CGP.

(Article paru dans le n° de septembre de Gestion de Fortune : lire gratuitement >> le pdf ou ci-dessous)

Jean-Denis Errard : Votre groupe a beaucoup évolué ces derniers temps. Vous en êtes où ? Vous venez de faire plusieurs opérations de croissance externe majeures !

Bruno Narchal : Aujourd'hui, Crystal est composé de deux branches d'activités totalement distinctes. Une activité BtoC (business to consumers) correspondant à notre métier d'origine de conseil en gestion de patrimoine et en investissement, à travers le monde auprès des expatriés, en France au travers des clientèles d'experts-comptables, dans les bassins industriels Rhônalpins ou encore auprès des sportifs professionnels. Et une activité BtoB, avec une plateforme indépendante, en totale architecture ouverte, qui accompagne les CGP.

Nous avons acquis, en avril 2017, Expert & Finance, dont la notoriété est très forte auprès des chefs d'entreprise et des experts-comptables. Cette société gère à la fois les patrimoines personnels mais aussi professionnels de nos clients allant jusqu'à la proposition de crédits et de gestion de trésorerie. A l'international, Crystal Finance c'est notre marque historique auprès de la clientèle des expatriés.

Vous restez un groupe indépendant ?

Oui, Crystal met en avant deux atouts concurrentiels majeurs : l'indépendance et le multicanal. 59,5 % du capital est entre les mains de ses dirigeants et fondateurs. Le solde est détenu à 34 % par OFI Asset Management et 6,5 % par La Française. Rien n'interdit de faire évoluer cette répartition mais nous sommes à l'aise avec cet équilibre et ces partenariats. Remarquez que nous ne comptons pas au sein de notre capital de fonds d'investissement, dont généralement les horizons d'investissement sont relativement courts ! Nos actionnaires institutionnels sont des acteurs du métier qui nous accompagnent dans un projet industriel de long terme, avec un objectif à la fois capitalistique et commercial. Mais que ce soit clair, nous sommes totalement en architecture ouverte sur notre offre de fonds avec plus de 9 000 OPC.

Et Finaveo Partenaires ?

Cette entité regroupe l'ensemble de nos activités BtoB, avec pour actionnaires, OFI AM pour un tiers, Apicil pour un autre tiers et Crystal qui dirige l'activité opérationnelle. Fort de cette alliance capitalis-tique, Finaveo Partenaires a racheté CD Partenaires à La Française en juin 2019.

La taille de Crystal devient considérable !

Oui, en un peu plus de deux ans, l'évolution du groupe a été impressionnante ! Le volume de nos actifs administrés a été multiplié par 10, pour atteindre 8 Md€ au total, 5 Md€ en BtoB et 3 Md€ en BtoC. Nous comptons près de 300 collaborateurs qui accompagnent 43 800 clients dont 5 000 expatriés, 600 experts comptables et 1 500 CGP. Tout en conduisant ces opérations de croissance externe, nous avons très fortement accéléré aussi notre croissance organique. Nos ambitions restent fortes. Nous sommes toujours à l'affut de nouvelles opportunités mais notre objectif des prochains mois est de consolider notre nouveau périmètre et de structurer l'offre autour du digital.

On assiste à une incroyable dichotomie des acteurs du métier, avec une myriade de petits cabinets qui font 100 000 € de chiffre d'affaires en valeur médiane et des poids lourds qui peuvent être tentés de se faire plus entendre dans les instances professionnelles !

Mais c'est le marché qui dicte les règles ! C'est lui qui impose cette concentration, et l'intensification de la réglementation conduit à cela. Il y a évidemment une taille critique à atteindre pour faire ce métier. Autrefois, en tant que CGP, je passais 80 % de mon temps auprès de la clientèle et 20 % à recevoir des partenaires. Les produits étaient simples, la réglementation aussi. Aujourd'hui, un CGP consacre au mieux 25 % de son temps à ses clients. Les 75 % restant sont consacrés à l'administratif : satisfaire toutes les exigences règlementaires, renseigner ses logiciels, discuter avec les fournisseurs, suivre des formations, se mettre à jour en permanence sur les nouvelles offres du marché… Donc, pour dégager du temps et bien faire son métier le CGP est souvent obligé de s'associer ou de s'appuyer sur une plateforme pour continuer à se développer.

C'est ce que va proposer Finavéo !

Oui Finaveo c'est notre fintech BtoB, qui propose aux CGP et à leurs clients principalement un service de Réception Transmission d'Ordres (RTO) sur les comptes-titres. CD Partenaires va notamment permettre d'élargir l'offre à l'assurance vie et aux SCPI. L'objectif est de permettre au CGP de se recentrer sur son cœur de métier.

Vous êtes vraiment en architecture ouverte ?

Complètement ! Notre offre, c'est 43 contrats d'assurance vie français et luxembourgeois, deux dépositaires en compte-titres/PEA et environ 9 000 OPC. Nous proposons également une offre importante en immobilier et en crédit, dont des solutions exclusives.

Comment voyez-vous évoluer le marché de la gestion de patrimoine entre les différents acteurs ?

Les établissements spécialisés dans la gestion de fortune vont s'orienter de plus en plus vers une clientèle haut de gamme très hauts revenus et de patrimoine (HNWI) parce qu'ils ont des coûts fixes trop importants et que la transparence des frais de gestion exerce une contrainte forte sur leur modèle économique. Pour leur part, les banques généralistes vont chercher à capter dans leur réseau la clientèle à potentiel pour la conserver en banque privée, mais avec une proposition de valeur beaucoup moins attractive que celle des CGP. Ceux qui sont les mieux placés pour tirer leur épingle du jeu à l'avenir, ce sont les CGP, mais à condition qu'ils se professionnalisent et industrialisent leurs process.

C'est vrai qu'on peut constater une certaine forme d'inertie face aux évolutions réglementaires mais le mouvement de concentration est désormais bien engagé. Des CGP plus nombreux qu'avant pensent à céder leur cabinet ou à se rapprocher. Pour beaucoup d'entre eux, s'ils veulent conserver leur indépendance, ils ont tout intérêt à développer un partenariat avec une plateforme pour gérer l'aspect réglementaire et la sélection de produits.

Vous restez optimiste malgré ces chapes de plomb réglementaires !

Oui, le métier de CGP d'exercice libéral a de l'avenir parce que le client a besoin de pouvoir compter à ses côtés sur un conseiller, faisant preuve d'indépendance dans la durée.

Plus que jamais l'offre du CGP d'exercice libéral est pertinente et sans équivalent. A l'heure où les agences bancaires ferment et où les banques en ligne virtualisent la relation et font rentrer les clients dans des profils, le CGP lui conseille en direct, en face à face, et propose une gestion de patrimoine sur mesure et ce, en toute indépendance, ce qui est un atout majeur.

Est-ce que MIF 2 et DDA ne vont pas conduire forcément à standardiser l'offre ?

L'obligation de ciblage de la clientèle et d'adaptation des produits nous y conduit certainement un peu. Mais l'important est moins l'offre produits en tant que telle, que l'accompagnement du client. Les robo-advisors ne remplacent pas la compétence professionnelle humaine et le service. Ce qui est essentiel c'est cette qualité d'écoute et de conseil du CGP. Notre mission première n'est pas de vendre mais de conseiller. Les banques et les compagnies d'assurances se retirent de fait de l'accompagnement du client. C'est une opportunité pour le CGP, à condition qu'il s'adosse à une plateforme pour libérer du temps et faire son vrai métier.

Mais en termes de diligences et de responsabilité sur la qualité des produits, les plateformes déchargent-elles le CGP ? Par exemple si une plateforme a référencé un produit de type Aristophil, Maranatha ou autre, qui porte la responsabilité ?

Dès lors qu'une plateforme met très en avant un produit et en fait sa promotion, elle doit en assumer une part de responsabilité.

Le CGP peut-il s'exonérer, lui, de refaire sa propre analyse après celle faite par le sélectionneur qui est derrière la plateforme ?

Non, il a aussi sa part de responsabilité. La plateforme met à disposition des solutions, mais c'est le CGP qui, au final, conseille le client. J'ajoute que dans nos structures de conseils nous n'avons jamais proposé les produits d'Aristophil ou de Maranatha.

Pour le CGP en petite structure, le besoin de sélection de produits fiables est de plus en plus important. Avez-vous cette capacité à épauler le CGP dans ce choix ? Avez-vous l'expertise par exemple pour jauger les bons et mauvais produits structurés mis en ligne sur votre plateforme ?

Qui fabrique ces produits ? Société Générale, BNP Paribas, Natixis… bref, des établissements sérieux. Ces produits sont plus ou moins adaptés au profil d'un investisseur. Il revient donc au CGP d'estimer si ce type de produit est adapté à son client avec une information claire sur les risques.

Oui mais le CGP qui est dans son coin, peut-il s'appuyer sur vous, plateforme, pour avoir des produits fiables ? Il n'a pas le temps, ni toujours l'expertise, pour décortiquer des solutions complexes ?

Le rôle du CGP, c'est l'accompagnement du client et l'adéquation du produit à son profil et son besoin. La plateforme facilite le travail d'analyse du marché que doit faire le CGP en mettant à sa disposition une sélection de produits. Certains peuvent être plus risqués que d'autres, plus ou moins performants, mais ce qui est essentiel et à quoi doit veiller la plateforme c'est la qualité de l'information, de manière à ce que le CGP et son clients maîtrisent parfaitement les critères de choix.

On est libre de changer de concessionnaire pour le carnet d'entretien de sa voiture. Pourquoi n'a-t-on pas la même liberté pour le courtier d'une assurance vie ?

Je vous ferais remarquer que lorsque vous changez de garage pour le suivi de votre voiture, la garantie risque de ne plus être la même ! Surtout, je veux souligner la totale inégalité de traitement avec les banques. Croyez-vous un instant que les banquiers accepteront le transfert du suivi et du commissionnement sur encours des contrats d'assurance vie souscrits par leurs clients auprès de leur compagnie d'assurance ? Cette inégalité de traitement n'est pas acceptable.

Le commissionnement sur encours est un commissionnement d'intermédiation qui rémunère dans le temps l'acquisition du client et la création du contrat. C'est le modèle économique de notre activité de CGP, et c'est grâce à cette source de revenus que nous pouvons investir dans le recrutement et la formation de nos collaborateurs ou encore dans le développement de nos outils et services à destination des clients. Il serait parfaitement anormal et déstabilisant pour nos comptes d'exploitation qu'à son départ un collaborateur puisse transférer une partie du portefeuille et simultanément du commissionnement afférent.

Mais il y a un problème d'abus dans les deux sens ! DDA nous dit que le client doit être suivi mais il y a des CGP qui ne font pas le job !

En tout premier lieu, la volonté du client doit être respectée. S'il demande à être suivi par un autre courtier, c'est son droit le plus strict et le suivi du contrat doit être transféré.

En revanche, le droit à commission ou indemnisation du courtier créateur du contrat ne s'éteint pas pour autant, car le coût d'acquisition d'un client est élevé. Nous estimons, pour notre part, que ce droit devrait correspondre à 24 mois de commissionnement. En clair, le courtier repreneur du contrat ne pourrait prétendre à commissionnement sur l'encours du contrat que 24 mois après le transfert du suivi du contrat, sauf à régler immédiatement une indemnité au courtier créateur.

Si le client veut venir chez vous, attendrez-vous deux ans pour toucher les commissions ?

Oui. Je n'ai aucun problème avec cela.

Et le client de la banque, s'il n'est pas satisfait du suivi ?

Aujourd'hui malheureusement, il ne peut que le racheter, ce qui est totalement anormal !

Cette impossibilité de transfert vers un autre courtier ressemble à une entrave à la libre concurrence, non ? (art. L 420-1 du Code de commerce)

Il faudrait changer la loi pour permettre le transfert d'une compagnie à une autre. Pour ma part j'y suis favorable dans l'intérêt du client final. Mais les compagnies d'assurances ne veulent pas en entendre parler en évoquant les contraintes techniques de la gestion des fonds euros.

Vous croyez que techniquement c'est un vrai argument ?

Cet argument est de mon point de vue totalement insuffisant. Il est un peu facile de s'arrêter aux seules contraintes de la gestion actif/passif des contrats en euros pour écarter définitivement le sujet ! Du reste, nous observons que les assureurs ont su, depuis fort longtemps, surmonter la difficulté technique des contrats collectifs transférables. Dans l'intérêt des clients, il faut impérativement faire évoluer ce sujet.

Il suffit de bien faire son métier pour dissuader les épargnants de partir ! C'est choquant d'être obligé de racheter son contrat et de perdre son ancienneté parce que l'assureur est mauvais !

Je partage ce point de vue.

Evoquons la question des mandataires. Des cabinets se développent en utilisant le service de ce genre de rabatteurs qui n'ont pas vraiment les compétences. N'est-ce pas un souci ?

A l'origine, notre groupe s'est développé avec des mandataires. Nous collaborons encore avec des mandataires parfois parce qu'il n'y a pas d'autres alternatives dans un certain nombre de pays où nous opérons. Ce n'est pas parce qu'ils sont mandataires qu'ils n'ont pas les compétences, nous les formons autant que nos salariés. Il faut juste savoir les choisir et travailler avec les meilleurs. La compétence est intrinsèquement liée aux obligations réglementaires de formation, que l'on soit mandataire ou salarié.

Entretien réalisé par Jean-Denis Errard

Troisième usage : le point de vue de Bruno Narchal

Il est parfaitement normal que le client puisse être suivi par le conseil de son choix. Mais je suis complètement opposé à la position prise unilatéralement par les compagnies d'assurances qui, du jour au lendemain, suppriment les commissions récurrentes au courtier d'origine. Il y a une valeur de constitution de clientèle par le CGP et on ne peut pas tirer un trait là-dessus.

En tant que CGP, j'estime avoir le droit à une rémunération dans le temps liée à mes efforts pour développer ce lien contractuel, suivre le client, le conseiller !

On assiste aujourd'hui à une surinterprétation de DDA de la part de certains assureurs. Ce que dit simplement DDA c'est que le commissionnement ne doit pas produire d'effet négatif sur la qualité du service fourni au client. En ce sens cette directive et sa traduction dans le Code des assurances sont différentes des dispositions de la directive MIF.

Bruno Narchal : son parcours

Diplômé de l'école de commerce Sup de Co Montpellier, il a commencé par une première expérience commerciale, intégrant en 1983 le groupe Union Financière George V en tant que conseiller en gestion de patrimoine ; il devient manager puis inspecteur général d'un réseau international. En 1992, avec son associé Yves Martin, il crée Crystal Finance SA, qui a pour objectif de se spécialiser dans le conseil en gestion de patrimoine pour les Français hors de France.

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