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Droit au respect de la vie privée en entreprise : une décision importante

Dans cette affaire opposant en Roumanie un ingénieur salarié et sa direction, la Cour européenne des droits de l'homme va donner tort à celui-ci qui contestait la surveillance de ses communications effectuée pour vérifier un usage strictement professionnel.

Un cadre d'entreprise soutenait que la décision de son employeur de mettre fin à son contrat de travail reposait sur une violation à son égard du droit au respect de la vie privée et de la correspondance garanti par l'article 8 de la Convention des droits de l'homme et que les juridictions internes ont manqué à leur obligation de protéger ce droit. À la demande de son employeur, il créa, pour répondre aux questions des clients, un compte de messagerie instantanée Yahoo Messenger. Il avait déjà un autre compte Yahoo Messenger personnel.

Le règlement intérieur interdisait explicitement « d'utiliser les ordinateurs, les photocopieurs, les téléphones, les téléscripteurs ou les télécopieurs à des fins personnelles. » En outre, une note interne de la DRH, signée de tous les collaborateurs, indiquait que : « Le temps passé dans l'entreprise doit être du temps de qualité pour tout le monde ! Venez au travail pour vous occuper des problèmes de l'entreprise, des problèmes professionnels, et pas de problèmes privés ! Ne passez pas votre temps à occuper les lignes d'internet, le téléphone ou le télécopieur avec des questions qui ne concernent ni le travail ni vos tâches. L'éducation élémentaire, le bon sens et la loi vous y obligent ! L'employeur se voit dans l'obligation de vérifier et de surveiller le travail des employés et de prendre des mesures de sanction envers les personnes en faute ! Vos fautes seront attentivement surveillées et réprimées ! »

Le cadre en question ne tint pas compte de cet avertissement. Il reçut une convocation qui l'informait que ses communications sur Yahoo Messenger avaient été surveillées et enregistrées (« certaines avaient un caractère intime »), avec des graphiques indiquant que son trafic internet était supérieur à celui de ses collègues et montrant un usage personnel.

Sur le fond, se fondant sur l'arrêt Copland c. Royaume-Uni (no 62617/00, §§ 43-44, CEDH 2007‑I), il arguait que les communications par téléphone ou par courrier électronique qu'un employé fait depuis son lieu de travail sont couvertes par les notions de « vie privée » et de « correspondance » et, dès lors, bénéficient de la protection de l'article 8 de la Convention. Il soutenait donc que la décision de licenciement était illégale et qu'en surveillant ses communications et en accédant à leur contenu, son employeur avait enfreint la loi pénale. Ce cadre a perdu ses procès en première instance et en cour d'appel.

Voici ce qu'en disent les magistrats de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), saisis de l'affaire :

« Il ressort des jugements prononcés par le tribunal départemental et par la cour d'appel de Bucarest que ces deux juridictions nationales ont pris en considération le règlement intérieur de l'employeur, lequel interdisait l'utilisation des ressources de l'entreprise à des fins personnelles. Nous observons également que le requérant avait été informé du règlement intérieur de l'employeur et en avait signé un exemplaire, après avoir pris connaissance de son contenu. Les tribunaux internes ont interprété les dispositions de ce texte comme sous-entendant qu'il était possible que soient mises en place des mesures de surveillance des communications, éventualité qui était de nature à réduire de manière significative la probabilité que le requérant pût raisonnablement s'attendre à ce que le caractère privé de sa correspondance fût respecté.

« Tant le tribunal départemental que la cour d'appel ont accordé un poids certain à la note d'information que le requérant avait signée, et il ressort de leurs décisions qu'un exemplaire signé de cette note avait été produit devant elles. Le tribunal départemental a notamment observé que l'employeur avait prévenu ses employés que leurs activités, y compris l'usage qu'ils faisaient des ordinateurs, étaient surveillées, et a également relevé que le requérant lui-même avait pris connaissance de la note d'information. La cour d'appel a confirmé que « l'utilisation des ressources de l'entreprise à des fins personnelles pouvait être refusée (...).

« Ainsi, les juridictions nationales ont jugé, sur la base des documents en leur possession, que le requérant avait été suffisamment averti de ce que ses activités, y compris l'usage qu'il faisait de l'ordinateur mis à disposition par son employeur, pouvaient être surveillées.

« Nous relevons également que, se fondant sur les éléments de preuve en leur possession, les juridictions nationales ont estimé que le but légitime que poursuivait l'employeur lorsqu'il a mis en place l'opération de surveillance des communications du requérant était d'exercer « le droit et l'obligation d'assurer le fonctionnement de l'entreprise ». (...) Nous considérons qu'il n'est pas déraisonnable pour un employeur de vouloir vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles lorsqu'ils font usage sur leur lieu de travail et pendant leurs heures de travail du matériel qu'il met à leur disposition. La cour d'appel a estimé que la surveillance des communications du requérant était le seul moyen pour l'employeur d'atteindre ce but légitime, ce qui l'a amenée à conclure qu'un juste équilibre avait été ménagé entre la nécessité de protéger la vie privée du requérant et le droit pour l'employeur de superviser le fonctionnement de son entreprise.

« À notre avis, le choix des autorités nationales de privilégier les intérêts de l'employeur par rapport à ceux de l'employé n'est pas en lui-même de nature à soulever un problème au regard de la Convention. (...) Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ».

(Affaire BĂRBULESCU c. ROUMANIE, Requête no 61496/08), arrêt de la 5 septembre 2017)