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« Verrou de Bercy » : un débat clé sur les poursuites pénales pour les fraudeurs fiscaux

Une mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales a commencé ses travaux à l’Assemblée nationale le 16 janvier 2018. Question : est-il acceptable que seul le fisc ait le pouvoir de décision ? Ce qu’on appelle le « verrou de Bercy ».  

Composée de 19 députés de tous bords politiques, présidée par Éric Diard, député LR, avec pour rapporteur Emilie Cariou, députée LRM, cette commission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales a pour objectif d’évaluer l’efficacité du « verrou de Bercy », c’est-à-dire le monopole de l’administration fiscale sous tutelle du ministre des Finances pour décider d’engager ou non des poursuites pénales en matière de fraude fiscale. Un débat clé puisqu’un projet de loi devrait être déposé devant le Parlement dans les mois qui viennent. « L’opacité des critères mobilisés par l’administration fiscale pour déterminer les dossiers qu’elle entend transmettre au ministère public ne peut qu’alimenter les soupçons de partialité », fait observer le professeur Martin Collet (Paris II) dans un point de vue dans Les Echos du 6 mars 2018.

Supprimer le monopole de Bercy en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale

Plusieurs associations (Anticor, Oxfam France, Attac France, Sherpa, Transparency International France) étaient auditionnées ce 6 mars 2018 à l’Assemblée nationale par les députés membres de la commission. Elles ont plaidé pour la suppression du monopole du ministère des Finances en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. Elles estiment que ce verrou institue une « justice à deux vitesses » et « une forme d’impunité pour les délinquants en col blanc », expliquant que « il est essentiel que les cas de fraude les plus graves et les montages complexes douteux des grandes entreprises puissent être jugés devant les tribunaux et sanctionnés de manière exemplaire, en toute transparence ».

Les condamnations semblent trop peu nombreuses (sur environ 15 000 infractions constatées chaque année, 1 000 dossiers sont transmis à la justice) et seraient « trop souvent concentrées sur les fraudes de moyenne ampleur ». Rappelons que le délit de fraude fiscale est sanctionné de 3 M € d’amende et de huit ans d’emprisonnement.

Le Parquet ou Bercy ? 

Le débat soulève des interrogations sur le cumul de sanctions à la fois fiscal et pénal pour de mêmes faits. Le Conseil constitutionnel ne l’interdit pas, cela « en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive ». Ainsi « le recouvrement de l'impôt et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraude les plus graves » (décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016). Ce cumul vise donc les dossiers les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt (montant de la fraude, nature des agissements de la personne ou des circonstances). 

Or qui, du Parquet ou de Bercy, est le mieux à même d’apprécier la gravité et l’opportunité des poursuites ? Telle est la question. Ce verrou procède-t-il de la raison d’Etat ? Selon le professeur Collet, Bercy est mieux « outillé » pour cette sélection. Ce à quoi on peut objecter que le Parquet national financier l’est aussi avec une certaine objectivité en plus ! L’option proposée par cet universitaire : imposer à l’administration de faire la transparence sur les critères de poursuite ou de se soumettre à un compte-rendu auprès du parlement.