GESTION DE FORTUNE - Le Magazine de la Gestion Privée

Miser sur les entreprises familiales pour la sortie de crise

Sébastien Korchia UBS

Interview de Sébastien Korchia - Directeur de la gestion collective UBS La Maison de gestion.

 

 

Quel est l’objectif de gestion du fonds LMdG Familles & Entrepreneurs ?
Lancé en août 2018, LMdG Familles & Entrepreneurs est un fonds de convictions investi exclusivement en actions de sociétés dont l’actionnariat est familial ou entrepreneurial. Notre univers d’investissement couvre les entreprises françaises de toutes tailles de capitalisation. Le fonds est donc éligible au PEA.

Vous avez développé une expertise sur ces entreprises depuis près de vingt ans. Pourquoi les ciblez-vous spécifiquement ?
Sur la durée, ces entreprises s’avèrent mieux gérées et moins endettées que les autres. Il en résulte une surperformance significative sur le long terme des entreprises familiales en bourse quel que soit le marché concerné : Japon, Europe – et spécifiquement en France, en Italie et Allemagne – ou encore aux Etats-Unis.

Comment définissez-vous une entreprise familiale ?
Nous considérons qu’une entreprise est familiale dès lors qu’une famille – que ce soit la première génération ou les suivantes – est en capacité d’établir ou de révoquer la gouvernance et de décider de la stratégie, tout cela sans être nécessairement détentrice de la majorité du capital. Parallèlement, nous veillons à ce que cette participation représente l’essentiel du patrimoine de cette famille et qu’elle s’inscrive sur le long terme. 

Quelle est la profondeur de votre univers d’investissement ?
Le fonds peut investir dans les entreprises cotées de l’ensemble de l’Union européenne. Toutefois, nous nous concentrons sur la France en nous intéressant bien sûr aux grands noms de la cote tels que Bouygues, LVMH, Dassault, Michelin, Kering, Peugeot, Pernod-Ricard, Hermès ou encore Wendel. La grande majorité des entreprises familiales cotées se retrouve toutefois sur les compartiments des petites et moyennes valeurs. C’est le cas de Bénéteau, Bonduelle, Fleury-Michon, Iliad (Free) ou encore Bic. Il existe enfin un vivier important d’entreprises entrepreneuriales. Celles-ci sont dirigée par la première génération d’une famille. Ces entreprises sont de petite taille, ont une croissance forte et sont davantage tournées vers la technologie, les services et l’environnement.

Couvrent-elles tous les secteurs d’activité ?
Les valeurs familiales sont très présentes dans les secteurs de la consommation, de la distribution, du luxe, de la technologie et de la santé. À l’inverse, elles sont pratiquement absentes des secteurs à forte intensité capitalistique, comme l’industrie pétrolière et plus généralement toutes les activités liées aux matières premières, mais aussi le secteur bancaire. Il s’agit là d’un biais sectoriel naturel dans la mesure où ces activités exigent des capitaux trop importants pour une seule famille. L’univers des entreprises familiales est, au final, davantage un univers de valeurs défensives et de croissance.

Quels sont les différents leviers de performance que vous avez identifiés au sein des entreprises familiales ?
Une des principales caractéristiques du capitalisme familial est son inscription dans le temps, une volonté de pérennité et, souvent, de transmission du capital à travers les générations. Pour cette raison, leur gestion, inscrite sur le long terme, se veut prudente, et implique un moindre recours à l’endettement. Les entreprises familiales sont également moins sensibles aux effets de mode qui animent les marchés financiers. Ainsi, en 2 000, dans le domaine des télécoms, le groupe Bouygues Telecom est sorti renforcé de la crise alors que ses compétiteurs ont été mis en difficulté.

Vous évoquez également l’alignement des intérêts de certaines parties-prenantes ?
Effectivement, l’alignement des intérêts du management et de l’actionnariat minoritaire limite les risques d’une désolidarisation entre les décisionnaires et les preneurs de risques. Sans compter que la stabilité de l’actionnariat, qui rassure les investisseurs sur la vision à long terme de l’entreprise, peut être un avantage concurrentiel au regard des clients. Cela renforce par ailleurs la culture d’entreprise.

Quelles en sont les conséquences ?
Souvent les groupes familiaux possèdent une culture d’entreprise assise sur des valeurs fortes. Elle est couramment associée à une vision de long terme. Pour certains, on observe également un ancrage géographique marqué. C’est le cas de Bolloré en Bretagne ou de Michelin en Auvergne. Ces aspects constituent eux aussi des avantages concurrentiels qui bénéficient à la marque et permettent à l’entreprise d’attirer et de retenir des talents. Il résulte de tout cela que les entreprises familiales bénéficient de marges opérationnelles élevées, d’autant que la rémunération des dirigeants y est généralement moindre que dans les autres entreprises, ceux-ci préférant l’accroissement de la valorisation et/ou du dividende.

Dès lors, délivrent-elles en bourse un rendement du dividende supérieur à la moyenne ?
Si le rendement du capital est généralement plus élevé grâce à une allocation du capital disciplinée, les taux de dividendes versés tendent à être légèrement plus faibles que la moyenne, notamment pour les grandes capitalisations. Ils sont néanmoins plus réguliers dans la mesure où ils constituent une source de revenus pour la famille. C’est cette régularité qui est principalement recherchée par les investisseurs institutionnels et de long terme. Cela s’ajoute à la surperformance évoquée plus tôt, que les auteurs des différentes études rédigées sur cette thématique estiment à 400 points de base en moyenne par année sur les quinze dernières années.

Comment s’articule votre processus de gestion ?
Une première approche bottom up prend en compte l’ensemble des critères d’analyse fondamentale de l’entreprise. Nous y associons une analyse technique du titre, qui permet d’apprécier le momentum et la psychologie des marchés, et une approche top down qui s’appuie sur les différents scénarios macroéconomiques que nous élaborons.

Et quel est le profil des entreprises que vous retenez ?
Nous n’avons pas d’a priori de style. Nous cherchons à être équilibrés via une approche blend même si nous assumons sur le long terme un léger biais value qui nous rassure quant à la capacité de déterminer des niveaux de valorisation minimale. Nous investissons à long terme dans des histoires entrepreneuriales qui ne sont pas nécessairement dans l’air du temps mais dont le potentiel est considérable.

Thierry Bisaga