L'Edito du mois - Mai 2019

 

L'Edito de Jean-Denis Errard

Rédacteur en chef de Gestion de Fortune
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

A comme antiquité

C’est fou, en mars dernier, les dépôts nets sur le livret A rémunéré à 0,75 % ont frôlé les 2 Md€ (1,97 Md€), selon les données publiées par la Caisse des dépôts. Un record qui remonte à mars 2009. Après janvier à 4 Md€ et février à 1,93 Md€, ce produit d’épargne a beau faire perdre en pouvoir d’achat, il n’en conserve pas moins une éton- nante cote d’amour ! L’encours atteint 292 Md€ et celui du LDDS près de 110 Md€.

Le bon côté des choses serait d’y voir que les Français ont les moyens de mettre de l’argent de côté. Revers de la médaille, cet engouement pour une épargne sans risque mais en rendement réel négatif est le signe indiscutable, avec la flambée des dépôts en compte courant et des autres livrets d’épargne, que les Français ne sont pas confiants. L’inquiétude du lendemain est manifestement très forte, c’est du moins leur ressenti.

La collecte sur l’assurance vie en euros est également à ses plus hauts niveaux. La France a peur, avait lancé Roger Gicquel en son temps. L’épargne se recroqueville ainsi au détriment de l’économie, également au détriment des finances publiques qui ont besoin d’une économie dynamique. Notre pays regorgeant d’épargne alors que les entreprises manquent de capitaux fait penser à un pays en stress hydrique par incapacité d’exploiter ses énormes nappes phréatiques !

L’épargnant n’est pas le seul fautif ! Rien n’est fait, c’est même le contraire, pour encourager les placements utiles et productifs. La réglementation n’y incite pas. La France est de ce point de vue incroyablement disruptive, c’est- à-dire à contre-courant par l’immobilisme de son épargne d’un monde qui va de l’avant. Il est pourtant évident que notre modèle social de redistribution est tributaire des sources de création de richesses, donc de l’innovation. Pour distribuer il faut avoir de quoi !

Le contraste est grand entre les États-Unis, où les fonds propres des entreprises représentent 123 % du PIB, et la France où le ratio n’est que de 74 %. Quand un ménage américain investit 57 % de son épargne financière en actions, un ménage français la place à 69 % en produits de taux, y compris parce qu’on l’y a incité depuis longtemps, par des exemptions fiscales notamment. La collecte en UC d’assurance vie a certes progressé mais chacun sait que les UC de private equity comme d’actions cotées jouent un rôle marginal.

« La priorité aujourd’hui est d’imaginer de nouveaux produits d’épargne, plus productifs pour notre économie », a récemment fait observer le gouverneur de la Banque de France. Le ministre Bruno Le Maire en a fait un des axes du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte). Il semble urgent que les CGP contribuent à disrupter le livret A pour le reléguer au rang des antiquités.